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Journée d’étude Démocratie alimentaire dans les territoires ruraux : restitution 30 mai 2024

Alimentation Durable
12 juillet 2024

Le 30 mai 2024 s’est tenue à Angers la journée d’étude « Démocratie alimentaire dans les territoires ruraux, enjeux et perspectives pour les collectivités locales ». Merci encore à celles et ceux qui y ont participé et ont contribué à esquisser au plus près la réalité du terrain de la démocratie alimentaire sur nos territoires. Retour sur une journée riche en enseignements et partages d’expériences.

La matinée de cette journée d’étude a d’abord été consacrée à des éclairages thématiques par quatre structures partenaires de la Fondation Daniel et Nina Carasso.

Le premier temps était consacré à « la participation des habitants dans les Programmes Alimentaires Territoriaux (PAT) ». Alioune Dabo, Responsable scientifique à Terres en Villes, a présenté les résultats d’une étude qu’il a mené sur le sujet, dont l’objectif était double : caractériser les modalités d’implication des habitantes et habitants dans les PAT ; et montrer comment les collectivités locales leur permettent de monter en compétences sur le sujet de la démocratie alimentaire, à travers une diversité de dispositifs. Quelques enseignements à tirer de cette étude :

– plus un PAT est mature, plus il met en œuvre des dispositifs de participation populaire ;

– en milieu rural, les jeunes sont les plus difficiles à mobiliser ; en milieu urbain en revanche, ce sont les personnes en situation de précarité qu’il est plus compliqué d’impliquer.

– il existe un « gradient d’implication » des populations dans les PAT (de la sensibilisation du public à la mise en capacité des habitants). Ce gradient dépend principalement des thématiques mobilisées dans ces PAT, mais aussi de la volonté des porteurs de projet d’intégrer directement la participation des citoyens.

« Créer des ateliers participatifs, des postes d’animation, mettre en place des comités locaux de jeunes ou encore des conseils de quartiers sont autant de pistes à étudier pour améliorer la participation des habitantes et habitants dans les PAT » (Alioune Dabo).

Oriane Marcadet, Chargée de mission alimentation au Pays des Châteaux, et Nicolas Orgelet, Vice-président de l’agglomération de Blois en charge de la transition écologique et énergétique, ont ensuite apporté leurs témoignages d’acteurs de terrain.

« L’étude menée avec Terres en Villes a été très intéressante pour nous, afin de comprendre ce qui marche mieux ailleurs. Cela nous a permis d’identifier par exemple que nous manquions de portage citoyen, qu’il faudrait permettre aux personnes de se sentir actrices de la démarche, notamment via un processus de codécision » (Nicolas Orgelet).

De son côté, Inès Revuelta, Animatrice-coordinatrice chez Un plus bio, a ensuite présenté le travail de sa structure pour « aider les collectivités à inventer la démocratie alimentaire ».

Auparavant très marginal, le sujet de la démocratie alimentaire émerge dans les politiques territoriales des collectivités, en particulier via les cantines scolaires : c’est parce que les élus ont la responsabilité de fournir une alimentation saine, locale et à moindre coût à leur population que découle une politique volontariste sur le sujet.

Pour aider les collectivités – notamment les plus petites qui n’ont pas les moyens d’avoir des emplois dédiés à l’alimentation –, Un plus bio recense les initiatives existantes, collecte des données fiables comme autant d’éléments d’arbitrages, au travers de différents moyens (Observatoire de la restauration collective bio et durable ; ouvrage spécifique “Nourrir, quand la démocratie alimentaire passe à table”, etc.).

L’association insiste tout particulièrement sur quatre piliers pour changer de regard sur la démocratie alimentaire :

Imaginer les cantines de demain, afin de doter les cantines d’objectifs réels et mesurables, de mettre en place des mécanismes de transparence et d’améliorer la formation et les conditions de travail des personnes ;

Créer une politique de santé publique qui mise sur le bio ; 

Redonner une vocation nourricière au foncier, dans le but de privilégier l’installation d’une agriculture de proximité, tout en sécurisant les débouchés auprès des productrices et des producteurs ;

Donner vie à la gouvernance alimentaire, en allouant des moyens dédiés à une politique alimentaire, et en créant des espaces nourriciers de rencontre entre producteurs et mangeurs.

« On ne peut pas considérer l’alimentation comme un bien lambda : il y a bien une exception alimentaire. C’est un levier stratégique pour changer les perspectives » (Inès Revuelta).

Yves Delcroix, Conseiller municipal délégué à la transition écologique à Chambray-Les-Tours, a par la suite illustré l’implication de sa commune périurbaine dans une démarche de démocratie alimentaire à travers l’exemple détaillé de la mise en place de la ferme maraichère municipale.

« L’accompagnement d’Un plus bio a été très important dans la mise en place de cette ferme. Le partage d’expérience avec des communes plus avancées nous a été très utile et nous a donné envie de nous plonger dans le projet » (Yves Delcroix).

Brigitte Picandet, Responsable de programme chez Resolis, et Lucile Dumoulin, ancienne Chargée de mission à la fédération nationale des Parcs Naturels Régionaux (PNR), ont quant à elles présenté l‘Observatoire Resolis, qui se veut un « support de valorisation d’initiatives inspirantes de démocratie alimentaire ».

Brigitte Picandet a d’abord rappelé que Resolis a mis en en place un Observatoire depuis une dizaine d’années, qui recense à ce jour plus de 2000 fiches d’initiatives citoyennes dans le champ de l’alimentation responsable et durable sur les territoires. Issues d’entretiens réalisés avec des acteurs locaux ou des porteurs de projet, ces fiches de synthèse sont construites sur la même grille méthodologique, ce qui permet une comparaison entre leurs différents territoires d’implantation. Pour Resolis, l’objectif de cet observatoire est double : améliorer la connaissance des écosystèmes locaux sur l’alimentation responsable et durable et enrichir une base de données d’initiatives, qui soit accessible à toutes et tous. L’Observatoire permet ainsi d’outiller une recherche cartographique ou thématique, sur une diversité d’initiatives en France et à l’étranger. Au-delà des fiches, l’association met aussi à disposition de nombreuses ressources sur le sujet de la démocratie alimentaire.

Dans ce cadre, Lucile Dumoulin a ensuite retracé brièvement l’implication de la fédération nationale des PNR au côté de Resolis dans ce travail d’observation, d’accompagnement et d’appui des initiatives innovantes et locales favorables à une agriculture plus durable au sein du réseau des PNR. Initié dès 2018, cette collaboration vise à créer un réseau de références et d’échange entre une douzaine de parcs-pilotes sur les initiatives d’alimentation responsable et durable et sur les dynamiques de construction de PAT, en se focalisant plus particulièrement sur l’importance des outils logistiques de transformation (abattoirs, légumeries…).

« Cet Observatoire est un outil précieux pour essaimer les initiatives locales tout en mettant en lumière leurs particularités grâce à des entretiens des acteurs et actrices sur le terrain. » (Lucile Dumoulin)

 

Pour finir cette matinée, Louise Galipaud, Coordinatrice du programme TETRAA a présenté un retour d’expériences autour d’observations sur « les leviers des collectivités pour mettre en œuvre la démocratie alimentaire ».

Le programme TETRAA accompagne neuf territoires (dont huit collectivités), sélectionnés lors d’un appel à candidatures, via un triple appui, financier, opérationnel et scientifique. Un site internet dédié au programme détaille ces éléments et propose toute une série de ressources. Afin de lever les nombreux freins identifiés sur le sujet de la démocratie alimentaire (déconnexion entre le temps long d’une collectivité et le temps de la société civile, manque d’une culture du dialogue entre public et privé, technicité du sujet et impression de marge de manœuvre limitée…), Louise Galipaud a insisté sur l’importance de deux éléments principaux :

– une nécessaire animation des instances participatives et décisionnelles, avec la création d’instances de dialogue, de pilotage, de décision, dans lesquelles le rôle de chacune et chacun est clarifié dès le démarrage ;

– un nécessaire portage politique sur ces questions de gouvernance alimentaire, via la formation des élus.

Anaïs Sinoir, Chargée de mission alimentation à la Communauté de Communes du Val de Drôme, a apporté le témoignage d’un levier soutenu par sa collectivité sur son territoire. Il s’agit de la mise en place d’un groupe d’échanges citoyens sur la démocratie alimentaire, au travers notamment de la réalisation d’ateliers de capitalisation radiophonique.

« Même si l’échantillon de citoyens participants n’est pas représentatif, cette démarche est très intéressante pour nous car elle permet d’inclure réellement les citoyens dans la gouvernance alimentaire, via l’accompagnement des publics, la formation, la proposition de projets et le dialogue avec les élus » (Anaïs Sinoir).

Dans le but de prolonger et d’approfondir les échanges et les retours d’expériences, l’après-midi s’est poursuivie avec des discussions autour des difficultés et des freins des collectivités dans l’appropriation de cette notion de démocratie alimentaire, mais également des pistes de réflexions et des leviers d’action leurs permettant de les dépasser. Ainsi, plusieurs questions ont été débattues lors d’une table-ronde dédiée : Comment faire système et intégrer tous les acteurs du système alimentaire ? A quelle échelle faut-il mener les politiques publiques alimentaires ? Comment penser les imbrications d’échelles ? Quelle place des habitants dans la gouvernance ? Quelle coopération entre territoires ruraux et territoires urbains ?

Les regards ont été croisés entre les représentants de Un Plus Bio (Stéphane Veyrat, Directeur), Terres en villes (Alioune Dabo, Responsable scientifique), Resolis & la Fédération des Parcs naturels régionaux (Lucile Dumoulin, ex Chargée de mission). Patrice N’Diaye (Enseignant-chercheur en Droit public de l’Université de Montpellier) est venu apporter une synthèse conclusive. Quelques points majeurs ressortent de leurs discussions.

1) Premièrement, les réflexions et les actions menées autour de politiques publiques en matière de démocratie alimentaire sortent encore peu du seul prisme agricole, dans des logiques de structuration de filières (de la restauration collective notamment). A ce titre, l’influence des orientations politiques au niveau national (Ministère, Programme national pour l’alimentation) et européen (Politique agricole commune) est rappelée et contribue à renforcer ce prisme productif. L’appropriation et l’usage commun de ressources (l’eau et le foncier nourricier, de plus en plus concurrencés par les besoins en énergies par exemple) sont des points soulevés, en lien avec ce champ agricole. Celui de la diversification des modèles agricoles également. Il apparaît aux yeux des intervenants que certains types d’agriculteurs, plus alternatifs, travaillent davantage avec les collectivités sur cette question de démocratie alimentaire, dans des logiques différentes des acteurs du monde agricole conventionnel. Et cette dichotomie des modèles tend à s’accentuer, là où de nombreuses collectivités cherchent au contraire à les faire co-exister ensemble sur leur territoire.

L’implication des maillons intermédiaires des systèmes se pose également, notamment autour des outils logistiques (transport, transformation) qui pourraient faciliter la relocalisation des approvisionnements. Quelques inflexions sur cette entrée agricole, avec l’implication de plus en plus de collectivités sur la problématique de la précarité alimentaire (en lien avec les projets alimentaires territoriaux).

2) Deuxièmement, les collectivités locales semblent faire face à deux interrogations pour s’impliquer davantage dans ces questions de démocratie alimentaire. Il existe un réel besoin de monter en compétences sur ce sujet afin que les agents et les élus puissent davantage s’impliquer, échanger avec leurs concitoyens, et gagner ainsi en légitimité. Si s’appuyer sur les ressources existantes de son territoire est rappelé par les intervenants en préambule, les besoins en ingénierie d’animation ainsi qu’en ressources (humaines, financières) ont été particulièrement soulignés. L’implication d’une diversité de partenaires, une plus forte autonomisation des actions des autres, ou bien encore l’intérêt de disposer d’un organe de gouvernance sont autant d’éléments discutés pour tenter d’apporter des pistes de solution à ces besoins importants, notamment au sein de « petites » collectivités. Celui de pouvoir bénéficier d’études et d’observations sur l’alimentation durable, à l’échelle des territoires et sur un temps long, également. En veillant toutefois à ne pas multiplier ces outils déjà foisonnants, mais sans doute en les partageant et en les mutualisant.

3) Troisièmement, les niveaux d’échelles de coopération constituent un point particulièrement discuté par les intervenants. La question du périmètre institutionnel de cette coopération apparaît nécessaire, en particulier au regard de la montée en compétences des métropoles et des régions sur les sujets agricoles et alimentaires. A ce titre, les acteurs de proximité comme les intercommunalités, les territoires de projets (comme les Pays ou les Parcs naturels régionaux), voire les départements apparaissent comme des échelons pertinents, aptes à dépasser la juxtaposition et à enclencher un changement d’échelle dans les initiatives et les actions autour de la démocratie alimentaire.

Au-delà, la nécessaire coopération entre territoires urbains et ruraux apparaît évidente. Celle-ci doit être pensée évidemment dans un esprit souple de réciprocité, d’inclusion multi-partenariale et de gouvernance partagée, d’autant plus que beaucoup de collectivités ne possèdent plus assez de terres nourricières. Cette coopération reste d’ailleurs gage de plus grande opérationnalité, notamment lorsqu’elle développée dans le cadre d’un PAT.

4) S’engager dans une transition ou une transformation des systèmes agricoles et alimentaires pour les collectivités territoriales ? La question n’a pas été tranchée lors de cette table-ronde mais appréhender cette problématique au prisme de la démocratie alimentaire appelle à « changer un peu la focale » selon nos quatre intervenants.

Aborder ces questions agricoles et alimentaires à travers la notion de paysages et d’environnement permettrait peut-être de mieux prendre en compte les expériences vécues et les représentations construites par les différents acteurs de terrain. Cette démarche invite aussi à faire (re)découvrir la diversité des métiers agricoles et de l’alimentation (artisans, métiers de bouche…) dans un pays ou la gastronomie constitue un fondement culturel important. Des activités de sensibilisation et d’éducation populaire à l’alimentation, dans une dimension festive et conviviale, seraient intéressantes à déployer davantage afin de toucher une diversité d’habitants et de citoyens.

Stimuler la capacité des acteurs à dialoguer et construire ensemble l’avenir alimentaire de leur territoire apparaît dès lors comme un chantier que les collectivités devraient continuer à explorer, dans une démarche participative de co-construction d’organes de gouvernance et de dispositifs dédiés. A ce titre, le foisonnement d’initiatives de démocratie alimentaires depuis plus d’une dizaine d’années, accompagnées bien souvent par les collectivités, est sans doute l’un des signes de la réappropriation de ces questions alimentaires. Plusieurs pistes de dispositifs d’approfondissement ont ainsi été esquissées, telles la création de régies agricoles/foncières municipales, la promotion d’une exception alimentaire sur le plan juridique, l’implantation de tiers-lieux nourriciers, ou encore la création d’un commun alimentaire avec les expérimentation de sécurité sociale de l’alimentation soutenues, voire expérimentées par des collectivités territoriales… Il conviendra de les consolider et de les dupliquer, afin que puisse se concrétiser un véritable droit à l’alimentation…

 

Les intervenants de la journée

Session 1 « La participation des habitants dans les Programmes Alimentaires Territoriaux (PAT) »

  • Alioune Dabo, responsable scientifique à Terres en Ville
  • Oriane Marcadet, chargée de mission alimentation aux Pays des Châteaux
  • Nicolas Orgelet, vice-président de l’agglomération de Blois en charge de la transition écologique et énergétique

Session 2 « Ces collectivités qui inventent la démocratie alimentaire »

  • Inès Revuelta, animatrice-coordinatrice chez Un plus bio
  • Yves Delcroix, conseiller municipal délégué à la transition écologique à Chambray-Les-Tours

Session 3 « Les leviers des collectivités pour mettre en œuvre la démocratie alimentaire »

  • Brigitte Picandet, responsable de programme chez Resolis
  • Lucile Dumoulin 

Session 4 « Les leviers des collectivités pour mettre en œuvre la démocratie alimentaire »

  • Louise Galipaud, coordinatrice du programme TETRAA
  • Anaïs Sinoir, chargée de mission alimentation à la Communauté de Communes du Val de Drôme
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