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L’artiste citoyen face aux enjeux de la transition écologique et sociétale

Art citoyen
24 mars 2025

Quelles réflexions les artistes peuvent-ils apporter au débat public ? Comment peuvent-ils être parties prenantes de solutions pour une transition écologique juste ? Investis de ces questions, les artistes du programme de résidence In Situ, contribuent à la sensibilisation aux enjeux écologiques en offrant une approche esthétique et poétique, en abordant de manière tangible des concepts abstraits. Au cœur de la cité, avec leurs outils, ils œuvrent à imaginer d’autres façons de vivre et de faire ensemble. Retours sur l’expérience inédite de ces artistes citoyens, leurs apprentissages et l’accompagnement singulier dont ils bénéficient au sein de cet « atelier de production de savoirs et d’œuvres » qu’est In Situ.

L’artiste citoyen, acteur du changement écologique et sociétal

Le programme de résidence In Situ aborde les perspectives historiques et contemporaines géopolitiques comme causes profondes de la crise écologique, et les mécanismes pouvant faciliter la transition vers une société circulaire et neutre en carbone. Le cinéaste et plasticien égyptien Amir Youssef par exemple, traite de l’impact écologique de la militarisation et des limites du contrôle humain sur la nature. Amauta García et David Camargo, duo d’artistes visuels mexicains, mettent en question la part invisible de l’extractivisme à travers un film réalisé avec une caméra thermique qui enregistre l’émission de chaleur d’un radiateur : « D’où viennent cette chaleur et le gaz naturel qui la produit ? Quelles mines, monocultures et zones de sacrifice a-t-il traversées ? Qui a le droit d’utiliser cette énergie, et à quel prix ? » À travers une lettre fictive adressée à l’activiste Adelina Sejdini, la vidéaste et performeuse albanaise Endi Tupja témoigne des politiques migratoires qui se répercutent sur les fleuves, ceux-là mêmes qui nourrissent le complexe industriel et écologique européen. L’artiste-chercheur, plasticienne et performeuse franco-américaine Tilhenn Klapper présente 3 œuvres de la série Psychopomp animals, interrogeant la fonction des animaux mythiques qui, dans de nombreuses cultures, accompagnent le passage des morts vers l’au-delà : « Travailler sur un plan symbolique fait aussi partie de l’Art citoyen. Inventer des formes performatives rituelles permet de rassembler, réparer, désorienter, etc. ; c’est ancré dans des problématiques socio-politiques, ce n’est pas hors sol. C’est reconnaître que se préoccuper de métaphysique est un geste politique. »

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«
In situ est le reflet d’une vision de l’Art citoyen partagée par la Fondation Daniel et Nina Carasso et la Cité internationale des arts, qui affirme le rôle de l'artiste et de la création comme éléments essentiels du ciment social.
»
Vincent Gonzalvez
Directeur des résidences, de la programmation et de la communication de la Cité internationale des arts

À travers une diversité de médiums, leurs acolytes Ce Pams, Ai Ozaki, Hara Shin, Constantin Jopeck et Magdalena Orellana traitent des tensions sur les langages autochtones imposées par les pratiques coloniales ; témoignent des rapports entre humains, végétaux et animaux ; inventent des interactions entre le corps, les écosystèmes urbains et la technologie pour faire advenir des ordres émergents ; donnent à observer les mouvements instinctifs organiques des animaux ; et ré-enchantent la ville comme forme de convivialité et espace de friction.

Le groupe comme terrain d’expérience

Lors de l’exposition هِسْسْ murmures de tempête présentée du 26 février au 8 mars 2025 à la Cité internationale des arts à Paris, les 10 artistes du programme In Situ 2024-2025 ont donné à voir ces œuvres issues de leurs recherches menées en résidence. Issus de 11 nationalités, ils ont été retenus pour la cohérence de leur projet et son implication écologique et sociétale. Afin d’encourager les rencontres interculturelles et interdisciplinaires, le jury veille à la complémentarité des médiums et des visions, et fait le pari des synergies potentielles. Depuis 2023, María Inés Rodríguez, Directrice de Tropical Papers et commissaire invitée du programme, approfondit l’approche méthodologique et citoyenne du groupe : « Ce qui est important, c’est le fait de créer une communauté temporaire de travail qui puisse développer un projet artistique peut-être, mais surtout le projet d’être ensemble et de partager des connaissances, de l’amitié, de la souffrance, de l’angoisse car tout ça est aujourd’hui très présent. Il est important que les gens se rendent compte qu’ils sont là pour être soutenus et pour soutenir les autres, pour donner et recevoir. »

Conçue en 2020 pour aider des artistes pluridisciplinaires, la première édition du programme favorisait déjà le rassemblement comme solution à l’isolement accentué par les confinements. « L’ADN d’In Situ réside dans la constitution du groupe », témoigne Klaus Fruchtnis, Directeur de l’axe Art citoyen France de la Fondation Daniel et Nina Carasso. « La particularité d’In Situ repose sur l’équilibre entre soutien au processus créatif individuel et construction d’une réflexion collective, le tout intégré au sein d’une communauté de plus de 300 artistes de toutes pratiques, toutes nationalités et générations » complète Vincent Gonzalvez.

Faire groupe est une stratégie pour expérimenter un vivre ensemble, pour confronter les visions, mutualiser les ressources et les outils, faire acte de solidarité. « Ça n’a tellement pas de sens d’être seule, de produire coûte que coûte, dans un climat compétitif. In Situ nous donne un temps commun, au cours duquel nous sommes toutes et tous pris dans les mêmes enjeux. Nous avons des travaux différents, mais nous sommes, pour un temps, dans les mêmes conditions, au même endroit. Cette solidarité n’a pas de prix » explique Tilhenn Klapper, artiste franco-américaine qui avec The Grieving choir rassemble des femmes mettant en partage des lamentations traditionnelles.

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«
Être artiste citoyenne me renvoie à la dimension collective de mon travail de performance : être prise dans un processus créatif en tant que groupe en opérant sur des plans émotionnels, physiques, énergétiques. La chorale que j’ai commencée ici est un endroit qui fonctionne comme cela, aux points de rencontre de l’art, du soin, de la spiritualité, et de la politique.
»
Tilhenn Klapper
résidente In Situ

Situer sa pratique artistique

Les résidences In Situ offrent aux artistes une mise en perspective de l’œuvre en cours, de leur démarche globale et de l’intégration des complexités artistiques, écologiques et sociétales. C’est une façon d’approfondir les méthodes et les processus de travail qui, bien que souvent imperceptibles, sont essentiels à la création artistique. María Inés Rodríguez met ainsi en œuvre une méthodologie fondée sur l’alternance entre recherche individuelle, partage collectif, réflexion suivie avec la curatrice et rencontres ponctuelles avec des invités.

Amir consacre une partie de son travail sur « l’empreinte écologique de la recherche scientifique militaire et des conflits armés, souvent déclenchés pour l’acquisition de ressources énergétiques. » Dans ce cadre, il a découvert l’existence d’Habakkuk : « un porte-avions en glace, qui illustre la démesure de certaines expérimentations en temps de guerre. » Il nous fait part de l’utilité des rencontres individuelles, en citant notamment son échange avec l’écrivaine et curatrice portugaise Filipa Ramos : « Elle m’a amené à réfléchir à la question écologique sous l’angle de l’effet de normalisation : quelles conséquences la présence récurrente d’animaux ou d’armes dans ces espaces a-t-elle sur nos représentations et nos comportements ? Dans le prolongement de cette réflexion, l’éditrice et curatrice Anne Davidian m’a interrogé sur la nature même des archives : comment les archives des musées participent-elles à la construction de l’avenir et qui les a constituées ? »

De son côté, l’architecte paysagiste, artiste finlandaise Ella Prokkola explore la transition écologique en s’intéressant « aux droits des plans d’eau urbains et à la sensibilisation au rôle vital de l’eau dans les villes ». À travers la série de maquettes architecturales qu’elle a conçue, elle se demande comment nous pourrions établir de nouvelles relations avec l’eau. Ella produit une réflexion poétique qui s’adosse à l’ingénierie de la transition écologique mais aussi à la considération des usages citoyens. Elle nous raconte une étape importante de sa résidence : « Avec l’artiste et scénographe Jean Christophe Lanquetin, nous avons longuement parlé de la manière de guider ou de réorienter la chorégraphie urbaine, de changer la scénographie de l’espace public, tout en gardant à l’esprit que la ville est un espace multi-espèces. Nous avons aussi discuté de cette possibilité d’intervenir dans la rue avec une table ou un autre dispositif, et d’interroger les citoyens sur leurs considérations liées à l’eau dans leur vie quotidienne. L’hypothèse de ce type d’intervention m’a amenée à rechercher des configurations spatiales à ces rencontres citoyennes ».

Au cours de la résidence et lors des conversations organisées dans l’espace d’expositions le 1er mars, la commissaire a convié une douzaine de femmes et d’hommes curateurs, chercheurs, écrivains, éditeurs, historiens de l’art etc., comme par exemple le philosophe d’origine italienne Emanuele Coccia et le commissaire d’exposition et historien de l’art Lou Forster. Autant de personnes que de points de vue sur le rôle de l’art dans la transition écologique, autant d’occasions de questionner la réalité à travers différentes formes de pensée et d’action, de la recherche à la réflexion critique. Une expérience qui se poursuit avec le lancement d’un nouvel appel à candidature pour une résidence 2025/2026 : Lancement de l’Appel à candidatures Résidences d’artistes In Situ 2025

© Maurine Tric

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